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Urban Roots

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28 mai 2005

Urban Roots revisite le masque africain

Tony Selgi ou la nouvelle école de la sculpture urbaine
       

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Des masques africains teintés d’une solide influence urbaine issue de la culture hip-hop. Urban Roots, entendez par là « racines urbaines » en français, est la synthèse parfaite entre deux univers. Fruit du travail génial d’un jeune artiste plasticien guadeloupéen, ces sculptures sont le reflet de l’identité de toute une génération qui se reconnaîtra aisément dans l’art selon Tony. Afrik.com est tombé sous le charme.

Superbe. Un mot suffirait pour qualifier le travail de l’artiste plasticien Tony Selgi. Il faut dire que les masques en bois du jeune Guadeloupéen de 31 ans n’ont pas leur pareil et établissent le lien parfait entre une culture urbaine et des racines africaines. Signé Urban Roots. Art du vide, du volume et des courbes, ses œuvres novatrices sont l’expression de l’identité métisse d’un créateur dont la véritable démarche artistique n’en est pourtant qu’à ses débuts.

Afrik : Tu fais de la sculpture, de la peinture, du dessin et du design. Comment définirais-tu ton cœur de métier ?
Tony Selgi :
Je suis artiste plasticien. C’est-à-dire que je navigue entre plusieurs disciplines : la peinture, la sculpture, l’infographie. J’essaie de développer la scénographie jusqu’au design. Je dessine depuis tout petit et, en grandissant, j’ai voulu partir à la recherche de mon métissage. Car même si j’ai reçu une formation générale et sur l’art occidental, je viens d’ailleurs... Or, je vivais bien mon métissage à travers la musique (rap, ndlr). J’ai voulu restituer par l’image ce métissage que je pouvais ressentir avec la musique.

Afrik : De quel métissage parles-tu ?
Tony Selgi :
Du métissage urbain et multiculturel. Dans une ville comme Paris, on vit au quotidien avec toutes les cultures. On côtoie l’Asie, l’Orient, l’Afrique, l’Amérique du Sud, l’Occident. Plus personnellement, mon métissage est celui de l’Afrique et de l’Occident puisque mes deux parents sont guadeloupéens.

Afrik : Tu as commencé par le dessin. Comment en es-tu arrivé à la sculpture ?
Tony Selgi :
Le dessin, c’était économiquement et techniquement plus facile, mais mon dessin était déjà orienté vers le volume, je dessinais des objets volumineux, je travaillais le reflet, l’ombre... Dès que j’ai eu les moyens techniques pour commencer à sculpter, j’ai transcris mes dessins sous forme de volume. J’ai commencé par faire des copies de masques qui me plaisaient dans les musées, les expos, chez les gens. J’ai appris l’esthétique du masque africain par la mimétique. Une fois que j’ai maîtrisé les formes essentielles, j’ai pu sortir un premier masque, inspiré par la culture hip-hop et le graffiti. D’ailleurs, les personnes qui apprécient le hip-hop et son métissage se reconnaissent tout de suite dans mes masques et reconnaissent d’emblée les influences urbaines. Ceux qui n’ont pas cette culture les aiment pour leur côté afro.

Afrik : Quelle est ta conception du masque ?
Tony Selgi :
Mon masque, à l’origine, est un masque dansé qui vient d’Afrique, fait pour être porté et pas accroché au mur comme c’est le cas en Occident, où il est considéré comme un ornement décoratif. Le masque n’est pas seulement une pièce de bois, mais un vêtement à part entière. C’est pourquoi j’aimerais faire une vraie sortie de masques avec une tenue complète. En fait, j’ai une démarche inverse par rapport à cet objet : j’ai d’abord connu le masque accroché de la culture occidentale mais je vais vers le masque porté.

Afrik : Ton style est assez novateur...
Tony Selgi :
D’autres artistes ont la même démarche mais c’est vrai que c’est une nouveauté. Nous sommes issus d’une nouvelle génération qui, contrairement à celle de nos parents, est née ici. C’est donc normal que nous soyons porteurs d’une expression artistique nouvelle.

Afrik : Combien de temps pour fabriquer un masque ?
Tony Selgi :
En quelques coups de crayon, je peux lancer les bases du masque mais la réalisation demande de 7 à 15 jours, suivant la complexité, la taille du modèle, et le nombre de détails. Je dessine l’esquisse sur une planche, je la découpe à la scie sauteuse, pour la dégrossir, puis j’utilise la lime électrique, et enfin le papier de verre pour poncer, obtenir les courbes et les finitions. Côté matériau, j’utilise du « médium », un bois de la jungle urbaine ! C’est ce qu’on appelle un aggloméré : de fines particules de bois coulées dans de la résine que l’on reconstitue en planches. La prochaine étape sera de sculpter du bois massif, beaucoup plus cher et fragile ! Mais il me faudra une bonne connaissance de l’outillage, de la technique et du bois...

Afrik : Comment réagissent tes parents à ta sculpture ?
Tony Selgi :
J’ai mené une longue bataille pour leur prouver qu’être artiste, ce n’était pas forcément être fainéant, saltimbanque, et connaître des difficultés... Aujourd’hui, ils me comprennent. Eux-mêmes revendiquent leurs origines africaines, ce qui est rare pour leur génération. Ils sont arrivés en métropole avec tous les clichés et les a priori qu’on peut avoir aux Antilles, où certaines personnes renient leurs propres racines Ils se sont réapproprié leur histoire. Une remise en question qui s’est effectuée parallèlement à ce que je faisais. Ils sont aujourd’hui mes premiers fans et premiers défenseurs.

Afrik : Quels sont tes rapports avec le continent africain ?
Tony Selgi :
Je ne suis jamais allé en Afrique mais c’est l’un de mes prochains grands voyages ! J’aimerais bien redorer le blason de l’Afrique non pas qu’elle ait perdu sa dorure, au contraire, mais parce qu’on l’a trop dénigrée. Ce que j’en sais des gens qui vivent ou ont vécu là-bas, c’est qu’en France, on a plus accès au passé africain qu’en Afrique. Ici, j’ai voyagé en Afrique par les musées ! Ce qui est dommage, c’est que l’on a toujours cherché à qualifier l’art africain d’art nègre, ou d’art premier... ce n’est jamais juste de l’art. Je pense avoir une vision plus optimiste, plus réaliste, de l’art africain que certains Africains qui, sans doute de par leur culture, ont peur du masque. Ce qui m’a manqué c’est une certaine évolution de ce passé. Il y a une grosse bataille culturelle en interne entre ceux qui vont dépouiller leur propre patrimoine et ceux qui cherchent à le reconstituer. Et c’est avec eux que je veux travailler.

Afrik : Uroots est également une ligne de vêtement. Quel est le rapport avec la sculpture ?
Tony Selgi :
Les vêtements sont des supports d’exploitation des masques et sont issus directement des dessins. A l’aide de l’outil informatique, je mets au propre les esquisses que j’ai dessinées pour les transférer sur les habits. Il y avait des demandes de la part de personnes qui ne pouvaient pas accéder aux masques et souhaitaient avoir quelque chose dans l’esprit.

Afrik : Quel est ton rêve d’artiste plasticien ?
Tony Selgi :
L’architecture et l’urbanisme. Ce que je voudrais c’est que dans tout objet on puisse retrouver cette culture du métissage, du plus petit objet jusqu’à l’habitat et la ville. Que la disposition d’un village d’Afrique se mélange à la façon d’aborder la ville en Occident. Et que la multiculturalité du hip-hop soit visible dans l’artéfact et pas seulement dans les vêtements, la danse ou la musique. Si l’on prend par exemple la période des années 70, on retrouve dans le mobilier, la décoration, les objets et les couleurs tous les éléments constitutifs d’une époque.

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